Morgane : prémonitions de la petite fille
Ce printemps-là, Morgane traversa la mer pour se rendre en Petite Bretagne. Avec son escorte, elle chevaucha longtemps dans la forêt avant de s'arrêter auprès d'un lac profond et large. Les hommes dressèrent des tentes, firent un grand feu ; des viandes furent mises à rôtir. Il y eut des chants et des danses. Morgane riait et chantait comme les autres. L'air de la nuit était vif, les étoiles brillaient très pures. Lorsque le gouverneur de Morgane donna enfin le signal de se coucher, la petite fille s'éloigna un instant pour voir le reflet des constellations dans le lac. Un hurlement déchira sa gorge : elle criait, elle pleurait, et décrivait des scènes de massacre et de violence qu'elle venait de voir dans l'eau immobile. Il fallut de longues minutes pour la calmer. Ses compagnons, s'aperçurent alors que c'était l'heure même de son anniversaire : elle venait d'avoir 7 ans !
Lorsque Morgane et son équipage revinrent à Tintagel, toute la cour était en émoi. Un messager était arrivé, porteur d'une invitation du nouveau roi des deux Bretagnes, Uther Pendragon ! une dizaine d'années plus tôt, le père d'Uther avait été assassiné et son meurtrier, Vortigern, l'avait remplacé sur le trône. Uther et son frère s'étaient alors réfugiée en Bretagne armoricaine, où ils avaient patiemment organisé leur vengeance et la reconquête du royaume. Le duc de Cornouailles, Gorlois, était l'un de leurs meilleurs alliés, ils avaient vaincu ensemble Vortingern et Uther s'était retrouvé seul à la tête du royaume. Gorlois encore avait été le premier à jurer fidélité au roi dont le conseiller, se faisait appeler Merlin ou Mydrin.
Pendant que les chariots se remplissaient, Morgane se réfugia en hautdes tours, en compagnie des corbeaux et des freux qui avaient répondu à son appel. Sa nourrice, mi-guérisseuse, mi-sorcière, la regardait avec attention discuter avec ses amis au noir plumage. Soudain, elle vit la fillette escalader la muraille du chemin de ronde et les bras écartés comme des ailes, s'apprêter à s'élancer dans le vide. Elle n'eut que le temps de bondir et de la ramener au sol d'une main ferme. L'enfant entra alors dans une de ses violentes colères dont elle avait le secret.
-Tu n'avais pas le droit ! il fallait me laisser partir avec mes amis ; eux savent que je leur ressemble ! je peux voler et ils allaient m'aider à le faire ; tu as tout gâché, vieille sorcière !
- Tes amis ? ces oiseaux qui dévorent la chair des défunts après les batailles ?
- J'aime la guerre, le choc des armes et le sang qui coule ; je n'ai pas peur de la mort siffla la petite Morgane, sa crinière noire en bataille. Je serai duchesse de Cornouailles et il n'y a qu'une vieille peste comme toi pour ....
Une gifle cloua promptement le bec de la princesse aux corbeaux ! Saisie, elle se tut un instant puis adressa à la servante un de ses rares et éblouissants sourires :
- Je veux bien te pardonner pour cette fois, déclara-t-elle pompeusement ; puis elle reprit d'une voix changée :
- Il n'empêche que plus tôt que tu ne le penses, je volerai comme un grand corbeau au-dessus de mes terres et bien plus loin encore !"
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 9 autres membres