Le chevalier à la charrette - Lancelot après le combat
Quand Lancelot fut désarmé et qu'il eut lavé son visage et son cou, le roi le prit par le doigt et suivi de tous ses barons il le mena dans les chambres de la reine. Et du plus loin qu'il l'aperçut, Lancelot se mit à genoux.
-Dame, dit le roi, voici le chevalier qui vous a si chèremenent achetée.
- Certes Sire, répondit-elle, s'il a fait quelque chose pour moi, il a perdu sa peine.
- Dame, murmura Lancelot, en quoi vous ai-je forfait ?
Mais dans daigner répondre, elle se leva et passa dans une autre chambre si bien que le roi ne put se tenir de lui dire :
- Dame, dame, le dernier service qu'il vous a rendu devrait vous faire oublier ses torts, s'il en a eu.
Lancelot accompagna sa dame de ses yeux et de son coeur, mais seul hélas !
Pour le réconforter, le roi le mena dans la chambre où gisait Keu, toujours blessé ; puis il s'éloigna pour les laisser causer en liberté.
- Bienvenu soit le sire des chevaliers, dit le sénéchal, qui a achevé ce que j'avais follement entrepris.
Lancelot lui raconta comment la reine l'avait traité en présence du roi et de tous les barons.
-Telles sont les guerres des femmes, dit Keu. Et pourtant, quelles larmes elle a versé quand Méléagant l'a emmenée. La première nuit, il voulait coucher près d'elle, mais elle lui dit qu'elle n'y consentirait jamais. Et quand le roi vint à notre rencontre, elle se jeta aux pieds de son palefroi en pleurant et criant ; mais il la releva et lui promit bonne et douce prison et jamais depuis lors il n'a permis que son fils eût la dame sous sa gard.
Mélégant la réclamait à grands cris, si bien que je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire un jour que ce serait trop dommage si elle passait du plus prud'homme du monde à un tel mauvais homme. Pour se venger il fait mettre traîtreusement sur mes plaies en place des emplâtres propres à les guérir, des onguents pour les envenimer.
Quand il eurent assez causé, Lancelot se déclara prêt à partir le lendemain en quête de monseigneur Gauvain. Dès l'aube, il se mit en route ; mais comme il approchait du pont sous L'eau, les gens du pays s'emparèrent de lui par surprise croyant bien faire.
Tandis, qu'ils le ramenaient à la cour, liés sous le ventre de son cheval, la nouvelle y arriva qu'il avait été tué. Lorsqu'elle apprit cela, la reine tomba pâmée : "C'est moi qui lui ai donné ce coup mortel, lorsque j'ai refusé de parler avec lui ! ne lui ai-je pas ôté le coeur et la vie ensemble ? Ha que je l'ai-je tenu dans mes bras encore une fois !"
Elle se mit au lit et le conte dit qu'elle demeura trois jours et trois nuits sans boire ni manger : le bruit courut qu'elle allait mourir.
La nouvelle vint à Lancelot de sorte qu'il pris sa propre vie en dépit ; peu s'en fallut qu'il ne s'occit. Heureusement, le roi s'était hâté de chevaucher à sa rencontre pour le faire délivrer. Il lui conta la grande douleur de la reinge lorsqu'elle l'avait cru mort. En apprenant cela Lancelot eût volé, tant le bonheur le faisait sentir léger. Et, lorsqu'elle sut qu'il était sain et sauf, la reine à son tour fut heureuse au point qu'elle se trouva guérie sur le champ.
Dès qu'il fut arrivé au château, le roi conduisit Lancelot dans sa chambre et cette fois elle n'eut garde de lui refuser ses yeux !
Le roi s'assit avec eux un moment, puis comme il était sage, il annonça bientôt qu'il allait voir comment se portait Keu.
Alors, ils causèrent bien tendrement ; amour ne les laissa point manquer de sujets. Et quand Lancelot vit qu'il ne disait rien qui ne déplût :
- Dame, murmura-t-il, pourquoi l'autre jour refusâte-vous de me parler ?
- N'êtes-vous pas parti de la grande cour de Logres sans mon congé quand vous vous mîtes en quête de mon neveu Gauvain ? mais il y a pis : montrez-moi votre anneau !
- Dame, le voici
- Vous m'avez menti, ce n'est pas le mien !
Et elle lui fit voir celui qu'elle avait au doigt ; puis elle lui conta comment la laide demoiselle le lui avait apporté et il reconnut que Morgane la déloyale l'avait déçu. Aussitôt, il jeta la bague par la fenêtre aussi loin qu'il put et raconta l'aventure de son rêve et de sa rançon, de façon que la reine lui pardonna tout.
-Ah ma dame, dit-il, si c'était possible, ne voudriez-vous pas que je vinsse vous parler cette nuit ? il y a si longtemps que cela m'est arrivé.
Elle lui montra la fenêtre, mais de l'oeil, non pas du doigt.
-Beau doux ami, venez-là quand tout sera endormi. Jusqu'à demain, si cela vous plaît, j'y serai pour l'amour de vous. Gardez-vous que nul ne vous voie !
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