Lancelot et Guenièvre - Le modèle du chevalier
Comme Tristan et Iseult, Lancelot et Guenièvre ont bravé les interdits pour mener à bien leur passion. Les multiples marques de sa passion montrent à quel point Lancelot est épris de Guenièvre et fait abstraction de lui-même. Son adulation est si grande pour sa maîtresse que lorsqu'il entre en possession de ses cheveux, qui se trouvaient pris dans le peigne doré, «Il commence à les vénérer avec extase, plus de cent mille fois, il les touche, les porte à ses yeux, sa bouche ; ils sont sa joie, sa richesse». Mais ce chevalier parfait ne saurait être complet sans la grande vaillance qui le caractérise. C'est d'ailleurs sur le mode constant du superlatif que Chrétien de Troyes décrit celui qui «surpasse tous les chevaliers du monde» -Lancelot le modèle du chevalier : beau, qui vénère sa Dame.
Quant à Guenièvre, son amour pour Lancelot se développe graduellement, elle sort un peu plus de l'ombre à chaque déroulement du récit, à chaque fois que Lancelot fait montre d'idôlatrie à son égard. Pourtant, il serait faux de penser que Guenièvre ne manifeste son amour d'aucune façon. La dame doit répondre de quelque manière aux flammes de son amant. Par exemple, à la rumeur de la mort de Lancelot, elle se lamente et se dit «bien lâche de rester encore en vie.» Son affliction est telle qu'elle restera prostrée pendant deux jours sans boire ni manger.
Mais cet amour qui est décrit, reste bel et bien celui chanté par les troubadours. Même si Lancelot apparaît généralement comme le fin'amant idéal, il n'est pas sans posséder quelques défauts... Cependant, si l'ultime dessein du fin'amant est de passer une nuit d'amour avec sa dame, Lancelot correspond d'emblée à tous les critères qui font de lui un «modèle». Lancelot est le chevalier distrait par l'amour. Sa vie n'est qu'une errance, il guerroie sans relâche, passe son temps à sauver la reine, toujours séquestrée par quelque vilain, délivre des châteaux frappés par des enchantements, affronte le feu des dragons. Son épée ne connaît pas le repos et son coeur non plus.
Car le véritable moteur de ce personnage est bel et bien l'amour: ce qui lui donne sa valeur chevaleresque, mais aussi son ambiguïté, c'est bien le désir qu'il éprouve pour la reine Guenièvre. C'est ce "fol amour" qui le pousse à toujours se surpasser, à vaincre toutes les épreuves, au risque d'être plusieurs fois blessé. Car Lancelot est aussi le chevalier ensanglanté : le sang coule souvent de diverses blessures ; Symbole peut-être de la fracture, de la faille qui habite ce personnage écorché, sans autre véritable demeure que l'amour, sans autre finalité que la fidélité à son amour. Symbole aussi de cette faiblesse, qui le tiendra à l'écart de la véritable perfection à l'échelle des valeurs médiévales : Lancelot, malgré toute sa bravoure, ne parviendra jamais à accéder aux secrets du Graal.
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