L'avenir de Guenièvre
Le geste de la reine, de même que son expression d'indicible stupeur, n'avait pas pu échapper à son ami.
- "Dame, lui dit-il à mi-voix, je vous conduirai dans un refuse si sûr et si clément que vous perdrez jusqu'au souvenir des heures que vous venez de vivre"
Guenièvre secoua la tête, en signe de dénégation désespérée. Un long moment passa. Enfin, elle abandonna au vent cette mèche rebelle devenue blanche qu'elle retenait entre ses doigts.
"Où pensez-vous me conduire ? fit-elle pour rompre ce silence pesant.
- "En petite Bretagne.
-Mais encore ?
Lancelot savait qu'aucun de ses propres châteaux ne se trouvait en mesure de résister aux troupes du roi. Il n'avait jamais eu le temps de reconstruire la citadelle de son père le roi Ban. Ses deux cousins, Lionel et Bohort, étaient surtout riches en hommes d'armes ; leurs propres cités tomberaient au premier assaut. Quant aux autres, vassaux d'Arthur, aucun d'entre eux ne consentirait à recevoir les fugitifs proscrits.
-Je vous conduirai à la Joyeuse Garde répliqua Lancelot.
-La Joyeuse Garde ? dites plutôt la douloureuse Garde murmura Guenièvre, reprenant le vocable sous lequel était autrefois désignée la redoutable citadelle. Jamais la Douloureuse Garde ne méritera mieux son nom qu'en ce jour où le destin nous réduirait à la prendre pour asile.
Mais craignant d'avoir blessé son ami, la reine toutefois s'empressa d'ajouter :
"Pardonnez-moi d'avoir exprimé tout haut ce que vous même pensez tout bas !
Une larme glissa sur la joue de la reine. Le goût en parut plus amer que le sel des embruns.
Elle ne voulait plus quitter Albion et partir au-delà des mers.. à quoi bon...
Trouver refuge en Armorique ? Qu'adviendrait-il de leur amour à la longue, rongés par le remords ? Pour la première fois, elle comprit qu'elle devait être la plus forte des deux et qu'elle devait décider de leur avenir.
- Lancelot, dit-elle calmement, c'est impossible, je ne veux plus être un objet de discorde entre toi et le roi, entre toi et tes compagnons. Arthur aura besoin de toi, de tous ses chevaliers.
- Guenièvre, ma douce amie, ma vie, je ne veux pas t'abandonner...
- Mais il le faut, Lancelot. Conduis-moi à l'île de Glastonbury, dans l'abbaye qui s'y trouve ; je dirais aux nonnes que je souhaite demeurer quelque temps avec elles. Puis j'enverrai un message à Arthur pour lui apprendre ma retraite et le supplier de faire la paix avec moi et avec toi.
Lancelot, déchiré, voulait protester, la retenir, mais au fond de lui-même, il savait qu'elle avait raison. Plus fortes que l'amour, se battaient en lui les incertitudes, les rêves de gloire.
Après une longue conversation, des pleurs, des altermoiments, des protestations de fidélité éternelle, Lancelot capitula et décidé de tourner bride. Ils se remirent en selle et prirent en silence le chemin de Glastonbury.
Au soir, le clocher du monastère apparut sur le fond rosé du crépuscule. Bientôt, ils montaient dans la barque qui les conduirait vers l'île. Ses cloches, sonnant la prière du soir, Guenièvre baissa la tête et murmura quelques mots ...
Lancelot, immobile à l'extrémité de l'embarcation, semblait chercher quelque écho à son désespoir.
- Guenièvre, hasarda-t-il, êtes-vous certaine de ne pas regretter cette affreuse décision ?
- Non, Lancelot, j'en suis certaine affirma-t-elle, mentant pourtant de tout son être.
Alors, jusqu'à la porte du couvent, il l'accompagna. Les religieuses reconnurent sans peine les traits de leur reine, mais aussi de l'enfant qu'elles avaient élévée. Guenièvre expliqua brièvement qu'elle souhaitait se retirer du monde pour vivre dans la solitude et dans la paix.
-Vous êtes la bienvenue parmi nous, vous pourrez demeurer le temps qu'il vous plaira, dit la mère supérieure. Vous devez seulement savoir que dans notre maison, la maison de Dieu, vous perdrez votre titre de reine, vous ne serez qu'une servante de Dieu, comme nous toutes.
Guenièvre acquiesca d'un signe de tête et revenant vers Lancelot, dit :
- L'heure des adieux a sonné.
Lancelot essaya encore une fois de la faire changer d'avis.
-Non, dit-elle simplement. Retourne vers Arthur, explique-lui que je lui demande pardon et qu'à ma manière je n'avais jamais cessé de l'aimer.
-Oui, je le sais, dit-il, la gorge nouée. Adieu donc, ma dame, Adieu mon amour, je ne t'oublierai jamais. Je t'en supplie prie pour moi autant que je penserai à toi.. jusqu'à ma mort.
Déchiré, les yeux brouillés de larmes, Lancelot partit sans se retourner et Guenièvre en entendant le portail se refermer derrière lui, pensa qu'elle allait être enterrée vivante.
Elle était coupée du monde, coupée des passions mais aussi des jalousies, de la haine.
Lancelot, lui galopait maintenant vers sa nouvelle vie.
Elle avait sacrifié son amour pour racheter sa faute, espérant que Lancelot sauverait le royaume d'Albion.
Pour elle, la vie de nonne avait commencé, et elle resterait dans ce monastère jusqu'à sa mort.
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