l'adoubement de Lancelot
Dès le samedi matin, le jeune damoiseau vint trouver monseigneur Yvain le Grand qui l'avait hébergé dans son logis et le pria de requérir le roi Arthur de l'armer chevalier.
Le roi dit à Gauvain :
- Il s'agit bien du damoiseau à la blanche tenue ? que dites-vous de notre valet d"hier soir qui veut déjà devenir chevalier ?
- Je pense que la chevalerie lui siéra bien car il est beau, noble et semble de bonne race.
- De quel valet parlez-vous ? demanda la reine Guenièvre
- Allez le quérir, Yvain, dit le roi, et faîtes qu'il s'habille du mieux qu"il peut mais j'ai idée qu'il a assez de ce qu'il faut pour ça.
Dans la cité, la nouvelle s'était répandue que le damoiseau qui était venu en équipage somptueux allait être adoubé, de sorte que les les rues se trouvèrent pleine de monde lorsqu'il traversa la vile en croupe sur le cheval de Monseigneur Yvain.
Au palais même, les chevaliers, les dames et les damoiselles étaient descendus dans la cour pour le voir et le roi et la reine se penchaient à la fenêtre.
Le blanc damoiseau mit pied à terre ainsi que messive Yvain qui le prit par la main et le conduisit dans la salle où le roi et la reine étaient assis, tandis que le jouvençeau prenait place en vis-à-vis sur la jonchée qui couvrait les dalles. Il était avenant de visage et fait à merveille ; ses bottes étaient si justes qu'on aurait cru qu'il était né chaussé et ses éperons luisaient à la lumière des cierges. Déjà la reine Guenièvre le regardait avec douceur et priait Dieu de faire prud'homme celui à qui il avait donné une si belle apparence. Et quant au damoiseau à la blanche robe, toutes les fois qu'il pouvait jeter à la dérobée ses yeux sur elle, il s'émerveillait de sa beauté, à laquelle la Dame du Lac ni aucune autre dame ne lui semblait comparable ; en quoi il n'avait point tort, car la reine Guenièvre était la dame des dames et la fontaine de vaillance.
- Commenta ce nom ce beau damoiseau ? demanda-t-elle
- Dame, je ne sais répondit Yvain. Je pense qu'il vient du pays de Gaule, car il en a le parler.
Alors la reine prit le beau damoiseau par la main et lui demanda où il était né.
Mais lui, au toucher de cette douce main tressaillit comme un homme qui s'éveille et ne répliqua mot.
- D'où êtes-vous ? reprit la reine
Il la regarde et lui dit en soupirant qu'il ne sait pas d'où. Elle lui demande comment est son nom et il répond de même qu'il ne le sait pas.
A cela, elle vit bien qu'il était tout ébahi et hors de lui-même ; et certes elle n'osait s'imaginer que ce fût à cause d'elle-même, pourtant elle avait quelque soupçon. Alors, pour ne point plus le troubler et de crainte aussi que nul n'en pensât mal, elle se leva.
- Ce damoiseau ne semble pas avoir de grand sens, dit-elle et sag ou fol, il a été assez mal enseigné.
-Qui sait, Dame, dit messire Yvain, s'il ne lui est pas défendu de révéler son nom et son pays ?
- Cela se peut bien être, répondit-elle mais si bas, que le damoiseau ne l'entendit pas.
Puis elle se retira dans ses chambres.
La nuit venue, messire Yvain conduisit le beau damoiseau dans l'église où il le fit veiller jusqu'à l'aube ; après quoi il le ramena au logie pour dormir un peu. Au matin, ceux qui devaient être adoubés le jour de la St Jean reçurent la colée du roi ; puis tout le monde s'en fut entendre la messe et en revenant le roi commença de ceindre l'épée aux nouveaux chevaliers.
Mais comme il ne lui restait plus qu'à adouber le nouveau damoiseau blanc, une pucelle entra dans la salle, la plus belle qu'il ait été. Ses tresses semblaient faites de gemmes et elle était si bien proportionnée qu'on ne voyait rien en elle à reprendre ; vous vous dirais-je de plus ?
Elle avançait en soulevant le bas de sa robe, arrivée devant le roi, elle la laissa aller sur le sol puis elle salua. Les chevaliers et les dames qui étaient dans la salle s'étaient approché pour mieux la voir et ils béaient tous devant tant de beauté. Mais elle dit sans s'ébahir en riant un peu de ce qu'ils la regardaient ainsi :
- Roi Arthur je te salue, toi et ta compagnie et tous ceux que tu aimes de par la Dame de Nohant et par moi-même.
- Belle douce amie, répondit le roi, qui était bien disert et savait se jouer en paroles, vous avez grande part en ce salut, puisque tous ceux que j'aime y sont compris.
- Sire, je m'aime donc mieux d'y être avec vous. La dame de Nohant vous demande secours comme à son seigneur lige, car le roi de Northumberland a envahi et gâté ses terres. Tous dux ont convenu que ma dame pourra faire défendre son droit par un chevalier contre un ou par deux contre deux, ou par autant qu'elle pourra en avoir. Et elle vous requiert pour lui envoyer le champion qu'il vous plaira.
- Belle amie, dit le roi, je la secourrai volontiers car elle tient de moi sa terre. Mais ne me fût-elle de rien, je ne lui aiderais pas moins car telle est vaillante dame, de haute lignée et aussi pour l'amour de vous.
Le jeune damoiseau entendit ses paroles et demanda d'être envoyé au secours de la dame de Nohant.
-Sire, ajouta-t-il, en le voyant hésiter, vous ne devez pas me refuser le premier don que je requiers de vous après mon adoubement. Je serais peu prisé et moi-même m'estimerais poins si vous ne vouliez me donner à accomplire ce que peut faire un chevalier.
Là-dessus, sire Gauvain et messire Yvain intervinrent pour représenter au roi qu'il ne pouvait éconduire honorablement une telle demande. Si bien qu'à la fin, celui-ci octroya le don, quoiqu'il craignît qu'un tel jouvenceau ne fût pas encore d'âge à porter un si lourd faix de chevalerie.
-Sire, grand merci dit le damoiseau.
Et quand il eut prit congé du roi et des barons, il fut à son logie pour se faire armer.
Le jeune damoiseau avant de partir dit à messive Yvain :
- Ha, je n'ai pas pris congé de madame.
Tous deux revinrent au palais et montèrent aux chambres de la reine. Là, le damoiseau s'agenouilla sans mot dire, les yeux baissés.
- Dame dit Messire Yvain, voici le valet d'hier soir que le roi a armé chevalier ce matin ; il vient prendre congé de vous.
-Quoi ? s'en va-t-il déjà ?
- Oui dame. Il va de par monseigneur porter secours à la dame de Nohant. Il l'a demandé comme son don.
-Mais comment messire le roi le lui a-t-il octroyé ? il est si jeune ? levez-vous doux sire, je ne sais qui vous êtes, peut-êtr le meilleur gentil'homme que l'on suppose et je vous trouve à genoux devant moi ? Je ne suis guère courtoise !
-Ha dame, dit le jeune damoiseau, en soupirant, pardonnez-moi la folie que j'ai faite.
-Mais quelle folie ?
- J'ai pensé sortir céans sans avoir pris congé de vous.
- Beau doux ami, vous êtes assez jeune homme pour qu"on vous pardonne un si grave fait, dit la reine en souriant.
-Dame, merci.
Et après avoir hésité un instant, il dit encore :
- Dame, si vous le vouliez, je me tiendrais toujours pour votre preux chevalier.
- Je le veux bien. Adieu, doux ami.
Elle le fit lever en lui donnant la main ; certes il fut bien aise quand il sentit cette main toucher la sienne, toute nue. Il salua les dames, les demoiselles qui avaient oui parler de sa bonne grâce et de son excellente beauté et qui avaient toute un oeil sur lui, durant qu'il s'entretenait avec la reine, s'émerveillant que dame nature l'eût si bien pourvu de ce qu'elles désiraient le plus.
Puis il revint à son logis pour se faire armer et là Yvain s'aperçut qu'il n'avait pas son épée.
-Mais vous n'êtes donc pas encore adoubé chevalier que vous n'ayez pas reçu votre épée.
- messire, répondit le damoiseau, je n'en voudrais aucune autre que celle que mes valets ont emportée.Je vais les rattraper aisément.
Là-dessus, il sauta dessus son cheval et partit à toute bride.
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